Il n’y a pas de «Temps» à perdre

Il n’y a pas de «Temps» à perdre

Le journal de la banque privée et du libéralisme réunis, «Le Temps», a publié, le vendredi 7 janvier un éditorial qui vaut son pesant de cynisme. Intitulé «Passer du don au prêt» et signé Pierre Veya, il se conclut par cette belle envolée, digne d’un Adam Smith revu et corrigé par Walt Disney «Contrairement à beaucoup d’idées reçues, l’envie d’entreprendre et d’investir ne sont pas des attributs culturels. Ce sont des valeurs communes à l’humanité annihilées par le manque de liberté et l’absence de règles de droit impartiales. En ce sens, le prêt à un pêcheur est un acte politique beaucoup plus intelligent que le don pour solde de tout compte.» Pour notre anthropologue amateur de la Place de Cornavin, la solidarité durable ne saurait faire partie des valeurs communes à l’humanité. Du moins pas à celle que l’on observe à travers la grille de lecture des comptes de pertes et profits.

Mais le plus beau – si l’on peut dire – est dans la fine analyse qui précède. En effet, les «pauvres parmi les plus pauvres» n’ont pas accès à l’emprunt, ou alors à des conditions «d’usurier accordées par des mafias locales.». Car «la majeure partie de l’Asie vit encore sous un système féodal qui détermine arbitrairement qui a le droit de s’enrichir. Cette économie dite informelle (…), faute de pouvoir accumuler légalement du capital, est l’obstacle principal au développement économique tel que l’ont connu l’Europe, puis plus tard les Etats-Unis.»

Le fait que l’accumulation primitive du capital n’ait pas résulté de la croissance régulière du bas de laine des gentils épargnants mais de pillages massifs des ressources sur fond de violences militaires par cette même Europe? Peanuts, pour P. Veya. L’existence d’un lien éventuel entre le développement des uns et le sous-développement des autres? Tiers-mondisme débile, sûrement, pour notre moralisateur du système financier. Qu’il demande donc à ses amis banquiers ce qu’ils font des 1400 milliards de dollars en liquide déposés au Nord par les classes dominantes corrompues et corruptrices du Sud. Les prêts de ces mêmes banques au Sud n’atteignent que la moitié de cette somme. Le reste doit certainement être bloqué en attendant de pouvoir bénéficier un jour aux «plus pauvres des plus pauvres»… Tartuffe, va! (ds)